Extraits choisis de la biographie de Jeanne, 93 ans.

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Pendant un été, Jeanne & moi avons retracé sa vie. Une longue vie jalonnée d’incroyables aventures, d’épreuves du quotidien et de victoires. L’écriture de cette biographie a été pour elle (selon ses mots) comme pour moi, un cadeau d’une richesse inestimable.

Voici quelques extraits choisis, que Jeanne a acceptés de partager avec vous.

Ecrire sa biographie avec un écrivain biographe

Bretons en exil : Une enfance dans les Ardennes

Je suis née à Sedan, au 24 rue au Beurre, le 4 mars 1925. De cette petite enfance dans les
Ardennes, je n’ai pas beaucoup de souvenirs. Mais, je me souviens que pour aller à l’école
communale, ma mère me donnait un petit panier rectangulaire avec deux battants. Elle y mettait mon repas. A la cantine, j’ouvrais ce panier mais aujourd’hui, je ne sais plus ce qu’il y avait dedans…

Mes parents avaient pour habitude de parler en breton entre eux. Cette langue était celle du secret et du mystère. En effet, mon frère et moi savions bien que, lorsque nos parents parlaient breton, c’était pour nous tenir à l’écart de certaines informations. On ne racontait pas aux enfants autant de choses qu’aujourd’hui.


Tout ce qui était intime ou de l’ordre de la vie maritale était souvent dit en breton. Mon frère Marcel et moi ne comprenions pas cette langue. Mais, nous savions que dès qu’elle résonnait, nous ne devions pas écouter. Nous nous regardions complices en souriant.
Sinon, mes parents ne nous parlaient jamais en breton.

Dans les années 1930, c’était une honte de dire que nous étions bretons. Nous étions très mal vus, et je n’ai jamais dit à l’école que j’étais d’origine bretonne. Nous étions traités de bons à rien ! Il n’y a qu’après la Seconde Guerre, qu’être breton est devenu plus facile à vivre. On gardait dans le cercle familial le fait d’être breton.


Enfant, j’étais d’ailleurs très contente de ne pas « être bretonne », et d’être des Ardennes. Cela ne m’empêchait pas d’adorer la Bretagne. La première fois que j’ai vu la Bretagne, je devais avoir 8-9 ans. Tonton Yves qui travaillait au Chemin de Fer m’avait emmenée avec lui, dans le Finistère. Je découvrais enfin la région natale de mes parents.

Vivre pendant la guerre : l’occupation allemande & la Libération

Dans Paris, la vie a pris un nouveau visage au début de l’année 1941. Tous les jeunes partaient. J’ai une amie intime qui a vu son mari partir travailler en Allemagne. Sa classe l’obligeait à partir. Donc, il s’est rendu en Allemagne. En revanche, lors de sa première permission, il n’est jamais reparti. Et, j’en ai vu beaucoup des jeunes qui ne voulaient pas repartir. C’est aussi comme ça que la Résistance s’est faite. Les hommes qui ne voulaient plus repartir travailler en Allemagne, essayaient de passer en zone libre, afin de rejoindre les groupes de résistants.

La Libération fut formidable ! Mais, elle ne se fit pas sans mal. Les combats ont été durs. Je me rappelle un petit jeune soldat, qui s’est fait tuer juste en bas de chez nous.
Il y avait des barricades dans tout Paris, et jusqu’à Clichy. Moi, je n’ai pas pris part aux barricades mais dès qu’on sortait dehors, on entendait parler de ceux qui étaient blessés ou morts. Les Allemands se battaient contre la Résistance à l’intérieur de Paris, puis contre l’armée de libération qui arrivait.

Chez Olida, l’usine où je travaillais à l’époque, les jeunes avaient formé un cercle. Nous nous réunissions de temps en temps entre collègues. Quand les prisonniers sont revenus, nous avons naturellement voulu leur apporter notre aide. Comme notre patron était d’accord, nous avons fait une demande pour aller aider à l’hôtel du Lutetia. C’est là que tous les prisonniers et déportés arrivaient à leur retour en France.


Pendant la journée, nous étions en charge d’accueillir les prisonniers avec un sandwich et une boisson chaude. Cela faisait une drôle d’impression de voir arriver ces gens avec leurs vêtements des camps de concentration. On leur proposait alors du café, un sandwich et on leur donnait des papiers pour qu’ils rentrent chez eux.

Les cars défilaient avec tous ces prisonniers tout au long de la journée. Ils semblaient très faibles. Et malheureusement, ils avaient souvent laisser beaucoup de monde derrière eux…


Ils étaient maigres et certains avaient l’air très malades. Ils avaient aussi un tatouage sur l’avant-bras, qu’ils tentaient de cacher avec leur chemise. J’ai repensé à ces moments lorsque j’ai entendu à la télé, bien des années plus tard, Mme Veil parler de tout ça, à la télé. On voyait sur leur avant-bras, un numéro, écrit à l’encre de Chine dont on ne
connaissait pas la signification. Mais, on percevait que pour eux, c’était une honte. C’est peut-être pourquoi, beaucoup d’entre eux portaient des chemises longues.

Nous pouvions imaginer ce que l’on voulait sur les raisons de cette déportation. Il y avait un mystère autour de leur départ vers les camps, et leur retour posait aussi question. Notre ignorance était pour eux comme une double peine…

Quand j’y pense…

Quand je me suis mariée, les femmes n’avaient pas le droit d’avoir un compte bancaire personnel. Roger, mon mari, avait un chéquier et un compte. Plus tard, une loi a fait que les hommes ne pouvaient plus encaisser la paye de leur femme sur leur compte nominatif.
A ce moment là, tout le monde a eu un compte. J’ai ainsi eu un compte-chèque à mon nom.

Je dirais que l’évènement le plus marquant de mon existence est ma rencontre avec Roger. Il a été d’abord, le meilleur ami de mon frère, avant de devenir mon fiancé, puis mon mari. Et nous avons quasiment passé toute notre vie ensemble.

Pour finir, je pense à mes parents. Ils m’ont beaucoup aimé. Ils m’ont légué de l’amour, et c’est plus précieux que des bijoux qui partent à la poubelle. Leur amour n’était pas fait de bisous, et de biens matériels mais ils avaient toujours de gentilles attentions pour nous. D’ailleurs, ils se sont occupés de nous, tout au long de notre vie d’adulte. Ils ont tout fait pour nous.

Au cours d’une vie, il y a des choses que l’on oublie, sans les oublier vraiment. On a des joies,
des peines, et la vie se poursuit. On n’oublie pas les souvenirs. Les photos et les lettres nous aident aussi, à se souvenir. Et puis, il y a des souvenirs qu’on n’oublie pas, qu’on n’oublie jamais quoi qu’il en soit.

Grâce à vous, j’ai fait revivre ma famille, et cela a été une grande joie !

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Camille Gouy Debas